Pourquoi la parole ne suffit pas dans la thérapie du trauma ? - Julien Baillet

Voici un extrait de l'excellent article de Julien Baillet - Psychologue : "Pourquoi la parole ne suffit pas dans la thérapie du Trauma ?"



Le docteur Bessel Van Der Kolk, M.D, est le fondateur et le directeur médical du Centre pour le Trauma de Brookline dans le Massachusetts. Il est aussi professeur en psychiatrie à l’Ecole de Médecine de l’Université de Boston et dirige le Réseau National Du Traitement du Trauma Complexe. Il publiait en 2014 « The Body Keeps The Score », un véritable chef-d’œuvre pour ceux qui comme moi s’intéresse à soigner le traumatisme. Ce livre est l’aboutissement de plus de 30 ans de travaux du Dr Van Der Kolk sur les questions du traumatisme. Cet homme est tout simplement « La » référence en matière de trauma à l’heure actuelle.

Dans son livre, il aborde (entre autres…) un point qu’il me semble majeur d’intégrer dans notre compréhension de la psychologie au 21ème siècle. C’est ce point que je souhaite partager avec vous dans cet article.

UNE ETUDE NOVATRICE

En 1994, il y a 24 ans donc, Bessel Van Der Kolk (BVDK) se voit proposé de participer à une étude pour découvrir ce qui se passe dans le cerveau des patients qui ont des flash-backs ( un des nombreux symptômes post traumatiques ). Il proposa donc à 8 de ses patients désireux de comprendre le fonctionnement de leur cerveau s’ils voulaient participer. Tous acceptèrent.

L’idée de la recherche était de placer ces patients dans un IRMF (L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle est une application de l’imagerie par résonance magnétique permettant de visualiser, de manière indirecte, l’activité cérébrale), et de leur lire en même temps un script relatant les différents moments de leur expérience traumatique. Il suffisait ensuite d’observer la réaction du cerveau des patients au fur et à mesure de la lecture, et de ce qu’elle déclenchait. Pour comparer ces données, on lisait aussi un script neutre (comme se lever le matin, se brosser les dents, etc) aux patients.

Une fois les données des 8 patients récoltées, statisticiens et mathématiciens créèrent les images composites permettant d’illustrer ce qui s’était passé dans le cerveau des patients.

LES RÉSULTATS

Cette étude a clairement montré que quand on présente des images, des sons ou des pensées reliées à une expérience traumatique, la région de l’amygdale se réactive, même si les évènements ont eu lieu il y a plus de 10 ans. L’activation de ce centre de la peur déclenche une cascade d’hormones de stress et d’impulsions nerveuses qui augmentent la pression sanguine, le rythme cardiaque et la prise d’oxygène, préparant le corps au combat ou à la fuite. Cette réaction de l’amygdale était déjà connue, et attendue par les chercheurs.

En revanche, une découverte plus surprenante fut « un point blanc dans le lobe frontal gauche du cortex, dans une région nommée l’aire de Broca ». La couleur blanche signifiait qu’il y a avait une diminution de l’activité dans cette région. Et l’aire de Broca est un des centres du cerveau dédié à la parole. Ce qui fait dire à BVDK : " Sans une aire de Broca qui fonctionne, vous ne pouvez pas mettre en mots vos pensées et vos émotions. Nos scans ont montré que l’aire de Broca s’éteint dès qu’un flashback est déclenché. En d’autres mots, nous avions la preuve visuelle que les effets du trauma ne sont pas si différents (…) des effets de lésions physiques comme dans l’AVC. " (The Body Keeps The Score, 2014)

Dans le même temps que cette désactivation, une autre région, l’aire 19 de Broadmann, s’allumait chez les participants. Cette région du cortex visuel enregistre les images quand elles entrent pour la première fois dans le cerveau. En théorie, elle ne devrait donc pas s’activer lorsqu’on demande aux patients de se remémorer des souvenirs, même traumatiques. Et pourtant. L’équipe de BVDK a pu voir s’allumer cette région même des décennies après, comme si l’évènement, pour le cerveau, venait d’avoir lieu…

D’IMPORTANTES IMPLICATIONS
Ces découvertes sont lourdes de conséquence, à plusieurs niveaux.

Le constat d’un tel phénomène physiologique vient expliquer pourquoi autant de victimes restent silencieuses sur ce qu’elles ont subi. Si le cerveau éteint les aires de la parole quand une victime se remémore un évènement traumatique, comment en parler ? Comment prévenir son entourage ? Comment déposer plainte devant la justice ? Comment se protéger ? C’est tout simplement mission impossible.

Cela remet en question notre façon d’envisager la thérapie. La psychologie traditionnelle ( surtout psychanalytique, mais pas seulement ) possède un héritage théorique immense qui base ses principes thérapeutiques sur la parole du patient. Or comment demander à un patient de parler, quand son cerveau l’en empêche ? Plus d’un siècle de thérapie et de psychologie centrées sur la parole du patient sont remises en question par ces résultats.

Cela permet aux proches, à l’entourage des victimes, de comprendre pourquoi elles ne peuvent pas leur exprimer leur souffrance. Ce n’est pas qu’elles ne veulent pas. Elles ne peuvent pas en parler. Le corps réagit uniquement sur un plan émotionnel et sensoriel, mais la parole reste alors bloquée, de façon involontaire.

Cela permet aux victimes de cesser de culpabiliser. Ce n’est pas de leur faute si elles n’ont pas été, ou ne sont toujours pas en mesure de parler de leur souffrance. Ce sont les conséquences du trauma qui les en empêche. Elles sont doublement pénalisées : victimes lors de l’évènement traumatique, et victimes des conséquences du trauma.

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Julien Baillet
Issu d'une newletter du 13 JUIN 2022.

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