TRANSITIONNONS NOUS!

 


Un contexte en transition.

Nous sommes aujourd’hui dans une période charnière de notre civilisation. Depuis les années 90 et les premiers rapports du GIEC ( Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), nous savons que le réchauffement climatique ne va pas nous laisser beaucoup d’alternative. Pourtant, les gouvernements se sont succédés les uns après les autres sans prendre la mesure de ces enjeux.

 

Les courants écologiques porteurs.

Ces dernières années, et particulièrement ces derniers mois, un grand nombre de courants alternatifs se déploient et œuvrent pour la cause écologique. Si l’ONG Greanpeace est présente depuis 1971 pour mener ces batailles, elle a longtemps été considérée comme un fauteur de troubles, vivant pour son seul combat en prolongeant des luttes post hippies.

Le film « Demain », césar 2016 du meilleur film documentaire, proposé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, a marqué un tournant dans la prise de conscience écologique. Il a su mettre en valeur ces problématiques auprès du plus grand nombre, dans une période où chacun était certainement prêt à entendre. Il a proposé une vision positive du monde que nous pourrions construire ensemble. Un monde qui fait rêver et qui, sorti de l’imaginaire collectif, permet d’envisager une action.

Bon nombre d’initiatives urbaines et rurales voient le jour et permettent d’imaginer une nouvelle économie et un nouveau rapport à la nature. Je pense notamment au « Tour de France des alternatives », d’Emmanuel Daniel qui permet de voir comment la déclinaison concrète et opérationnelle de nos valeurs est possible.

Des émissions de radio, la presse en kiosque, les réseaux sociaux, et de plus en plus de médias politiques s’emparent de la question pour véhiculer les idées d’un avenir respectueux de la nature. Du green Bashing, au green washing, il y en a pour tous et à tous les niveaux d’éthique et d’engagement. Je pense aux « carnets de campagne » sur France Inter, la presse « Slow », « Happiness », « Simples things », les groupes facebook de DIY ou de permaculture, les commerces de produits locaux et bios qui fleurissent en ville et les circuits courts qui se développent en campagne et en ville.

Des personnes comme Pierre Rabhi et son célèbre courant des Colibris, Arthur Keller et sa vision systémique, Pablo Servigne et sa pensée structurante autour de l’effondrement, sont aujourd’hui influentes et inspirantes. L’iconique Greta Thunberg a su également mener un combat écologique sans précédent et entrainer sur son sillage une jeunesse pleine d’énergie, prête à beaucoup pour sauver la planète dont elle a hérité.

 

Une inertie qui persiste.

Malgré tout, les différentes instances politiques, au cœur des choix décisifs, persistent à parler d’enfant instrumentalisée. Elles laissent les personnalités influentes au rang de marginales ou les invitent à la table des négociations pour mieux les museler. Elles ferment les yeux devant les rapports toujours plus alarmistes des communautés scientifiques. Nicolas Hulot en a fait les frais et la convention citoyenne, au cœur de la tourmente, est dans l’attente de voir prendre racine ses idées du monde qui pourraient sauver l’espèce humaine, ou pas.

Le grand historien des religions Jean Delumeau nous explique très bien le déni des autorités dans le contexte d’une crise sanitaire, et ramène nos décideurs à leur simple condition humaine. Pas plus ou pas moins que les autres, ils doivent composer avec leur propre système défensif et de préservation psychique : « Quand apparaît le danger de la contagion, on essaie d’abord de ne pas le voir. Les chroniques relatives aux pestes font ressortir la fréquente négligence des autorités à prendre les mesures qu’imposait l’imminence du péril […]. Certes, on trouve à une telle attitude des justifications raisonnables : on voulait ne pas affoler la population […] et surtout ne pas interrompre les relations économiques avec l’extérieur » (voir le lien).

Que cela soit pour une crise sanitaire ou une crise écologique… Les moyens de défense humains sont à toutes les époques les mêmes : déni, légèreté, puis panique, confinement, distanciation, rejet des boucs émissaires et des coupables, etc.

 

Des crises multiples.

Sanitaire.

C’est dans ce contexte à la fois politiquement inerte et avec une citoyenneté en mouvement et en débat, que la crise sanitaire du Coronavirus est apparue. C’est une crise sanitaire d’une ampleur sans précédent puisqu’après le déni, chaque pays a confiné ses habitants les uns après les autres.

 

Ecologique.

Mais c’est également une crise écologique d’après Serge Morand écologue de la santé, directeur de recherche au CNRS et au Cirad : « Plus la biodiversité est forte, plus il y a de microbes circulant à faible bruit, c’est-à-dire que ces derniers se transmettent mal. Mais lorsque la biodiversité chute souvent à cause de la réduction de l’habitat sauvage, nous favorisons les contacts et la transmission » (voir le lien).

 

Economique et des valeurs.

C’est aussi une crise économique et particulièrement de la globalisation, puisqu’un virus en Chine provoque une rupture de stock de papier toilette en France. Et le virus en France laisse sur le pont les moins bien rétribués de notre pays et protège les hiérarchies dont l’utilité sociale reste à prouver. En toute logique, c’est donc également un effondrement de nos valeurs comme le suggère la sociologue Dominique Meda. Même si Sartre nous avait prévenu avant elle, Dominique Meda a su faire une brillante traduction de ce qui devrait être en proposant de réévaluer l’utilité sociale des métiers et d’observer à quel point les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent, en cas de crise, bien inutiles. Mais attention... à chaque crise son contexte. Si bien que la crise écologique ne valorise pas les mêmes métiers que la crise sanitaire. A chaque problème ses solutions. Et les solutions d'un problème ne sont malheureusement pas les solutions d’un autre. Peut-être, si tout s'effondre, un consensus sera rendu possible. 

 

Spirituelle.

C’est une crise spirituelle, celle du sens et de notre finalité sur terre, celle qui vient toucher les logiques biologiques des écosystèmes les plus rudimentaires, touchant au fondement même de notre humanité. Le biologiste et océanographe canadien Boucar Diouf, dit que les virus en milieu océanique sont des agents d’équilibre dans le bouillon microscopique marin. Quand les ressources sont limitées, ils s’attaquent en priorité à l’espèce dominante, celle qui s’approprie toutes les ressources, et ils contribuent à maintenir un équilibre de l’écosystème marin. C’est la théorie de « kills the winner ». L’analogie est faite avec les débordements humains et remet inlassablement en perspective la fonction de l'être Humain sur terre.

 

Du travail.

Les dernières décennies ont mis en évidence à quel point l’évolution du rapport au travail devient de plus en plus compliqué pour chacun. Au fil des ans, la notion de souffrance au travail a pris de plus en plus d’espace dans la vie professionnelle. Les travaux de Marie France Hirigoyen (1998) sur le harcèlement ont marqué un tournant dans la reconnaissance de cette souffrance. Les années qui ont suivi ont tenté de mettre un terme à cette sémantique obscure en mettant la focale sur le management du bien-être car le bien-être doit à présent se conduire avec des méthodes et des priorités au sein des équipes. Il est même demandé à chacun de travailler sur ses soft skills pour avoir un comportement acceptable en entreprise. On ne sait donc plus être ensemble. Et si on nous demande de l’être ce n’est plus pour coopérer et trouver du sens à ce que l’on fait, mais pour produire davantage.

Pourtant la souffrance circule toujours autant dans le monde du travail. Les salariés rencontrent une crise du sens, ils ne savent plus vraiment ce qu’ils font là et ignorent leur raison d’être en lien avec les autres. La lassitude et la complexité des relations humaines dans des environnements toujours plus contraints ne permettent plus de coopérer, de se sentir utiles aux autres, d’avancer avec élan et dans un esprit de groupe. Nos instances régulatrices imposent des contrôles toujours plus défiants et il en découle paradoxalement de passer plus de temps à justifier de son travail qu’à le faire. Il est possible aujourd’hui d’affirmer qu’il est devenu difficile de travailler conjointement, de coopérer, de comprendre ce qu’est une raison d’être ensemble et d’œuvrer dans une énergie collective qui fait taire les intérêts individualistes et égocentrés.

 

Du vivre ensemble.

L’ADEME (l’agence de l’environnement et de la maitrise des énergies) met en lumière nos changements de paradigme et nos évolutions sociales. Dans une projection sur l’avenir, elle dessine les habitats de 2050 à partir de l’évolution des contextes actuels. Nos modes de vie en mutation, notamment le vieillissement de la population, les familles recomposées, séparées, mobiles ou fragiles financièrement, la recherche de logements moins coûteux, d’un quotidien solidaire et répondant à des enjeux écologiques, nous demandent de revisiter nos habitats et notre façon de vivre ensemble. La cohabitation solidaire va devenir le leitmotiv de demain.

A l’avenir, nous verrons se développer des logements partagés sous différentes formes comme la colocation, la cohabitation entre générations, les éco-lieux (écohameaux, écovillages), les habitats partagés conçus spécifiquement pour les seniors, des habitats coopératifs qui mutualisent les équipements.

C’est le temps également des tiers lieux et des espaces de coworking. Toutes ces initiatives qui visent à nous fédérer de nouveau comme après une trop longue période de diète sociale, vient souligner notre crise du sens à vivre ensemble, le sentiment de solitude, la perte de repères dans une société désunie et qui se délite.

Ces initiatives semblent idylliques et augurent d’un avenir lumineux tous ensemble « unis pour le meilleur et pour le pire ». Mais il n’est pas si simple de réapprendre à coopérer et ces collectifs voient se dessiner le pire en perspective s’ils ne sont pas prêts ou préparés.

 

Familiale.

En 2020, la crise sanitaire mondiale oblige chacun à se confiner et à se replier en famille. Elle révèle à quel point le besoin était grand de se retrouver et de prendre le temps d’être ensemble, enfin. Mais aussi, pour d’autres, elle révèle combien il est, encore une fois, difficile de vivre ensemble et de trouver un équilibre. Sur internet et dans les médias on voit une très grande quantité de sujets qui traitent de la vie de famille : des problématiques occupationnelles aux violences conjugales. Dans l’entre-deux, il y a tout ce qui concerne la gestion des émotions, la gestion des tensions ou des conflits, la question de l’autorité, du cadre, etc. Combien de familles rêvaient d’une vie où le temps serait donné et où elles auraient tout le loisir d’aider enfin aux devoirs tranquillement, de ranger les albums photos, de nettoyer les placards, de lire ce livre qui traîne depuis un moment sur l’étagère, de faire cette recette de cuisine ou de réparer ce meuble qui attendait dans la remise, ou bien encore de méditer, se mettre enfin au yoga et se prélasser au soleil à ne rien faire ? Et on voit en pratique que ce temps donné n’est pas une évidence pour tous et que la réalité rattrape cruellement le rêve et l’imaginaire.

 

La crise sanitaire révèle nos limites et nos besoins d’un autre monde.

C’est dans ce contexte, là où la complexité et l’interdépendance de nos écosystèmes émergent, là où l’état d’urgence est déclaré, que les êtres humains retrouvent le sens de la solidarité et de la coopération. A la manière d’une pandémie, il se répand partout au sein de l’humanité : de la solidarité, des initiatives citoyennes d’entraides locales et nationales, de la coopération autour des malades. On peut lire en de nombreux endroits des articles qui prônent l’envie d’un autre monde, plus respectueux des ressources, de la terre et des êtres humains.

L’écrivain.e Annie Ernaux écrit à Emmanuel Macron : « sachez Monsieur le président que nous ne laisserons plus nous voler notre vie… » (voir le lien).

 

Partout naissent des sites internet portés par différents acteurs (citoyens, collectivités, mutuelles, etc.) pour rester solidaires et coopérer en restant paradoxalement chez soi. Une réserve sanitaire déborde de volontaires. Des cellules d’écoute psychologique gratuite se mettent en place. Un grand nombre de services payants deviennent gratuits, comme des e-books à télécharger, des cours de yoga en ligne, des lectures faites par des artistes ou des concerts live, des cours de langue ou de musique, des visites virtuelles de musées, des bibliothèques nationales donnent accès à leurs archives, des manuels scolaires sont en accès libres et gratuits. On trouve toutes sortes de générosités. L’abondance de réseaux et d’initiatives se mettant en place rapidement témoigne de la capacité de rebond des êtres humains sur terre. Définitivement, Pablo Servigne avait raison de dire que la solidarité est inscrite dans notre patrimoine génétique et qu’elle s’actionne en cas de situation grave ou urgente.

 

Notre monde à la fois plein d’élan de générosité et à bout de souffle, en bout de course, souhaite profiter de ce ralentissement pour se régénérer et sortir de sa crise du sens. Les questions de la coopération se posent plus que jamais. Bruno Latour, sociologue et philosophe, nous dit dans l’émission « Le grand entretien » sur France Inter le 3 avril : « si on ne profite pas de cette situation incroyable pour changer, c’est gâcher une crise ». Le grand brassage social se remet en route, les prises de conscience se font, l’enjeu étant de transformer ces intentions en action après le confinement.

 

Comment coopérer dans les familles pour faire famille ? Comment trouver un équilibre et comprendre quelle est la place, la fonction, le rôle de chacun ? Comment communiquer ? Quelle est la raison d’être ensemble et comment structurer la famille pour la faire vivre ?

Mais plus encore, comment vivre en cohabitation, dans des habitats partagés, des éco-lieux, éco-hameaux, éco-villages en restant centré, aligné et en harmonie avec soi-même et les autres ?

 

Voilà une belle occasion d’y réfléchir, de se mettre au travail et de se former à la coopération dans les familles ou les groupes en cohabitation. La crise est une chance si on la saisit bien.

Commentaires

Articles les plus consultés